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La saisie de l'huissier.
JEANRON Philippe-Auguste (1809 - 1877)
La mort de l'ouvrier.
JEANRON Philippe-Auguste (1809 - 1877)
© Photo RMN-Grand Palais - T. Le Mage
© Photo RMN-Grand Palais - T. Le Mage
Date de publication : février 2010
Contexte historique
Prolétaires et révolutions avant 1848
« La saisie de l’huissier » et « La mort de l’ouvrier » sont des dessins appartenant à la série Les stations du prolétaire, épisodes de la Révolution de 1830, qui compte aussi « La mort des soldats » et « L’insurgé ». La grave crise économique du milieu des années 1840, qui suscite une aggravation des conditions sociales et exacerbe les tensions politiques, lui offre de nombreux sujets d’engagement.
D’origine latine, le mot « prolétaire » désigne celui qui n’ayant que ses enfants (proles) comme richesse est considéré comme appartenant à la couche la plus basse de la société. Durant la première partie du XIXe siècle, les débuts de l’essor industriel associés à un exode rural de plus en plus massif précipitent dans les villes un nombre croissant de personnes pauvres en quête de travail. Sous la Restauration (1814-1830), ces « classes laborieuses » en voie de paupérisation sont globalement privées de droits sociaux et politiques, le « prolétaire » étant soumis au contrôle du livret ouvrier depuis 1803. Les mouvements populaires, grèves et insurrections, se multiplient, durement réprimés par le nouveau régime.
Analyse des images
Le prolétaire, pauvre et victime
« La saisie de l’huissier » met en scène trois hommes dans le décor dépouillé d’un galetas. À gauche est représenté le « prolétaire » aux traits usés, vêtu pauvrement d’un pantalon à bretelles, d’une chemise et chaussé de souliers éculés. Mains dans les poches et tête basse, il fixe le sol d’un air accablé, évitant de regarder ce qui se passe et de voir disparaître ses maigres avoirs. Au centre se tient l’huissier, richement vêtu (manteau, chapeau, canne, pantalon et chaussures contrastent avec l’habit du prolétaire), mieux apprêté (rasé de près) et moins fatigué par la vie. Campé sur ses deux jambes, rigide et inflexible, il tient sous le bras l’avis de saisie. La tête haute de celui qui est sûr de son droit, il observe le bon déroulement de l’opération. Enfin, l’homme qui emporte les meubles représente une position sociale intermédiaire entre les deux premiers, comme en témoigne la qualité de ses vêtements. Son attitude aussi semble à mi-chemin : s’il ne baisse pas la tête, il semble accomplir sa mission sans y prendre goût, d’un air à la fois résigné et un peu sombre. Le dessin au crayon travaille les gris et les ombres, donnant à l’ensemble une tonalité triste et presque lugubre.
Utilisant la même technique, « La mort de l’ouvrier » évoque la même ambiance, renforcée encore par le sujet. Elle montre un ouvrier mourant (ou déjà mort), seul, couché sur un simple matelas dans une mansarde dénuée de tout ornement (crochet vide au mur). Symbolisant le dénuement au propre comme au figuré, sa chemise laisse apparaître un corps décharné. Sa têtee, renversée en arrière et visible de profil, est celle d’un vieillard marqué par une vie de labeur. La masse sombre à sa droite peut figurer la mort, qui le recouvre de son ombre.
Interprétation
Le prolétariat français, entre souffrance et révolte
Les deux images sont très politiques, militantes même. « La saisie de l’huissier » montre au public l’inégalité sociale, sensible dans les costumes, les corps et les attitudes. Un épisode humiliant pour l’ouvrier, soumis ici à l’huissier, agent assermenté presque arrogant d’un pouvoir politique qui, loin de réduire les injustices, semble les porter et les aggraver. Trois « classes » sociales sont ici représentées : celle de ceux qui, bien placés, bénéficient de la situation qu’ils entretiennent ; celle des exécutants qui, malgré eux, obéissent ; celle des victimes résignées et démunies jusque dans la mort (« La mort de l’ouvrier »).
La souffrance du prolétaire qui se voit enlever son presque rien ou qui meurt seul sans aide, évoque une Passion des temps modernes : les « stations » rappellent ainsi les stations de croix du parcours christique. La représentation s’inscrit pleinement dans la perspective du très fort courant de socialisme chrétien qui se développe dans les années 1840, auquel adhèrent tous les « utopistes ».
Ce spectacle est aussi volontairement révoltant. Révolte rentrée de l’ouvrier qui subit sans mot dire mais qui pourrait bien « serrer les poings dans ses poches crevées » (Rimbaud), ou révolte à venir de ceux qui n’acceptent plus cette réalité. Au-delà de la résignation et de la mort existe le combat (voir « L’insurgé » de la même série), pour peu que l’on ne soit plus seul face au pouvoir ou à la mort. Datant de 1845, ces dessins évoquent l’insurrection de 1830, mais aussi celles, postérieures, qui marquent la monarchie de Juillet (comme celle des canuts lyonnais en 1834) et préfigurent celle, à venir, de 1848.
- ouvriers
- pauvreté
- Monarchie de Juillet
- Rimbaud (Arthur)
- Trois Glorieuses
- classe ouvrière
Bibliographie
Jean-Louis BORY, La Révolution de Juillet (29 juillet 1830), Paris, Gallimard, coll. « Les trente journées qui ont fait la France », 1972.Jean-Claude CARON, La France de 1815 à 1848, Paris, Armand Colin, coll. « Cursus », 1996.Marie-Claude CHAUDONNERET, « Auguste Jeanron », in 1815-1830.Les années romantiques, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Nantes, Paris, R.M.N., 1996.Gérard NOIRIEL, Les Ouvriers dans la société française (XIXe-XXe siècle), Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1986.
Pour citer cet article
Alexandre SUMPF, « Les stations du prolétaire »
Message très utile
votre réponse est incomparable ... :)
C'est dommage que maintenant je ne peux pas exprimer - je suis en retard pour une réunion. Je reviendrai - j'exprimerai nécessairement l'opinion sur cette question.